Deux magnifiques journées autour de l’industrie du fer à l’époque gauloise
Samedi, 8 heures 30 du matin. 120 briques réfractaires et 6 seaux d’argile récoltés dans la montagne pas loin attendent, sagement rangés sur le bord de la place de Saint Laurent, que l’on veuille bien s’occuper d’eux. Tout est tranquille…
9h00. Les forgerons débarquent, ce petit coin de place s’anime soudain. Notre « chef de four » Pascal se met immédiatement au travail pour monter le bas fourneau. Un rang nécessite 8 briques, posées coins croisés pour assurer la rigidité. Les 4 premiers rangs sont particuliers, sur l’une des faces les coins ne sont pas croisés, cela permettra d’ouvrir le four plus facilement à la fin de la cuisson. Chaque brique est liée à des voisines par une pâte d’environ 5 mm d’argile. Elle n’est pas très pure, ça crisse, ça résiste, régulièrement Pascal en extrait des racines, des cailloux, du sable… Une couche d’argile est applique sur la face externe pour améliorer l’étanchéïté des joints.
Au 4ème rang, il ne faut pas oublier d’insérer une « tuyère », tube de fer placé en diagonale, qui permettra de souffler sur le foyer. Finalement, il faudra environ 3 heures pour terminer le four.
Pendant ce temps, une équipe part à la recherche de minerai. Il ne s’agit pas de faire la récolte intégrale pour le four, car nous sommes en zone coeur du Parc National et l’autorisation ne nous a pas été accordée de ramasser cette ressource. Le minerai proviendra donc essentiellement du col de Montmirat, ou existent encore d’anciennes mines. Nous nous contentons donc de regarder ce qui se trouve là, et d’en prendre juste quelques morceaux pour le plaisir.
Sur le chemin de la can, au dessus de Saint Laurent de Trèves, nous trouvons des « nodules », sortes de boules irrégulières très riches en fer. Leur formation s’est faite par migration du fer à travers le calcaire, à l’époque ou celui-ci n’était pas encore solidifié. Il existe plein de sortes de nodules, aux histoires et aux compositions chimiques différentes, c’est un sujet passionnant mais il nous manque un bon géologue pour approfondir vraiment, ce sera sans doute au programme de la prochaine édition de cette fête du fer, si elle voit le jour.
Nous faisons ensuite un tour au dessus du col de Tartabisac, sur le flanc est de la can de l’Hospitalet. Dans les années 60, une entreprise a creusé ici plusieurs courtes galeries pour évaluer la richesse en fer. Cela s’est manifestement révélé trop pauvre car le projet a été abandonné. Il reste néanmoins pas mal de minerai dans les déblais de mine.
Nous trouvons ici un minerai moins riche que les nodules, assez oxydé, plus léger, bulleux, que certains prennent parfois pour des scories (résidus de fabrication de fer), voire pour des météorites.
Avant de prendre le chemin du retour, certains font un petit crochet vers la Grotte de Tartabisac, une rivière souterraine qui émerge pas loin. Il faut faire une dizaine de mètres à quatre pattes pour atteindre l’eau qui dort là-dessous…
Dimanche matin, 9h30… C’est l’allumage du four. Avant de commencer à charger en minerai, il faut faire monter le four en température, ce qui ne se fait pas très rapidement car l’argile qui a servi à sceller les briques est bien sûr encore très chargé en eau. Ca fume, ça fume…
Pendant ce temps là, nos 4 forgerons installent leur matériel : deux petites forges avec des ventilations manuelles, trois enclumes, et puis des outils étranges, de toutes tailles et de toutes formes.
Et le travail commence. Certain(e)s se lancent dans la forge des couteaux, d’autres de crochets, de feuilles martelées, d’outils de maraichage…Gwen, très pragmatique, forgera un tire-bouchon, destiné à servir dès l’apéro du midi !
Au bout d’une heure environ, le four est assez chaud. On commence à ajouter le minerai. Le rituel sera le même toute la journée : toutes les 10 minutes environ, une demi boite de conserve de minerai finement concassé, un peu de charbon de bois. L’ensemble doit affleurer le sommet du four. Dès que le niveau baisse, on recommence. Il n’y a pas plus à faire…
Reprise des travaux. Les enfants sont mis à contribution pour le concassage du minerai. Cela s’avère une opération relativement facile car le minerai oxydé est friable : un léger coup de masse et le voilà explosé en graviers. Il faut ensuite tapoter doucement pour arriver à la finesse de sable.
Petite surprise pour beaucoup : la limaille de fer obtenue n’est pas attirée par l’aimant. Pour cela, il faut que le fer ait été soumis à une forte chaleur. La foudre peut jouer ce rôle, mais on peut obtenir ce résultat en passant le minerai au four, ce qu’a fait pascal avec quelques pierres. Tout le monde s’amuse à créer des formes bizarres et vivantes avec la limaille et un aimant…
16 heures. Ca va être le moment de défourner. Sans que rien ne se dise, l’ambiance change sur la place. Une sorte de silence se fait, le public commence à se rassembler autour du four. Pascal procède à quelques dernières vérifications. Là-dedans, ça chauffe grave…
Au sommet du four, la fumée change de couleur, elle devient verte et bleue, et dessine des formes fantomatiques, c’est l’esprit du fer qui commence à s’agiter. Avec une barre à mine, Pascal commence à desceller 4 briques prévues à cet effet, à la base du four.Devant les yeux émerveillés de toute l’assistance médusée, une masse rouge orange et jaune commence à apparaître… C’est la « loupe » de fer. Elle est collée au four, Pascal bataille un bon moment pour la sortir.
Finalement, la loupe est décollée, attrapée et posée sur l’enclume. Trois forgerons la frappent à la masse, pour concentrer le fer qui est encore plein de scories et de bulles d’air. Le temps est compté, quand la loupe refroidira elle sera dure et il ne sera plus possible de la réduire, alors ils se coordonnent pour frapper alternativement, ça va plus vite. C’est un ballet de masses, délicat tout de même car il ne faut pas détruire la loupe.
Mais la loupe se fragmente tout de même en morceaux plus petits. Mais c’est bien du fer, ça « prend l’aimant ».
Texte Marc Lemonnier. Photos de Norbert Dutranoy, Sophie Lemonnier, Marc Lemonnier