Jean Bonijol et Quincaille, histoires croisées d’un homme et d’un terrain de parachutage clandestin
Marc Lemonnier, 2016
Jean Bonijol est un jeune résistant de 23 ans qui, en 1944, a participé à mettre en place et à faire fonctionner « Quincaille » un terrain de parachutage clandestin d’armes et d’agents à destination des maquis de la région. Je me suis intéressé à son histoire car Quincaille est situé sur ma commune (Saint Laurent de Trèves). J’ai rencontré Jean en 2012 et lui ai demandé de me raconter sa vie et son rôle dans cette aventure. Ce fut un bonheur, que j’ai essayé de retranscrire en mots au travers de ce livre. Marc Lemonnier
50 pages. Prix public : 10 €. Frais de port 4 €
Editeur : Le Bousquet la Barthe (Barre-des-Cévennes)
EAN : 13 9782954204888
ISBN : 978-2-9542048-8-8
Commentaire de l’ouvrage par Olivier Poujol, pour la revue « Causses et Cévennes », mai 2017
Par la Can de Ferrières, prolongement de la Can de l’Hospitalet qu’il étudie depuis plusieurs années, par un container vu dans le bar de Saint-Laurent-de-Trèves ouvert de temps à autre à côté de son domicile, par le site du terrain de quincaille au nom énigmatique que l’on ne peut plus à présent expliquer, Marc Lemonnier est arrivé à Jean Bonijol. D’une mémoire sollicitée en 2009 et en 2010 est sorti ce petit livre, au faible tirage rappelant ceux des premiers récits maquisards. Ce livre a été publié en 2016 à l’ouverture d’un temps où il ne pourrait plus être écrit car il est basé sur le témoignage oral d’un des derniers maquisards dont la mémoire se perd parfois. La génération des maquisards des Cévennes disparaît. Les récits des maquisards écrivains ont été publiés (1), les souvenirs d’autres camarades ont été recueillis. Qui des jeunes des années Vingt peut encore parler ? Merci à Marc pour avoir recueilli, à temps, « un témoignage humain, subjectif et vivant». Les faits historiques auront tout le temps pour être ensuite remis en place si la mémoire s’est brouillée. Marc n’a que rarement cherché à valider les informations que lui livrait Jean Bonijol. Les historiens ont maintenant le champ libre.
Jean Bonijol est devant nous. Non un personnage d’histoire, mais un jeune dans ses choix, avec leurs risques, pendant l’Occupation. Il est de la Lozère et des Cévennes, de Polimies, un des hameaux de la commune de Vialas, du côté de son père, de La Canourgue du côté de sa mère, d’ascendants protestants par les Bonijol, d’ascendants catholiques par les Mazoyer: dans la réalité ses parents sont résolument laïques comme beaucoup d’instituteurs. Les valeurs républicaines et laïques ont beaucoup compté dans l’engagement de Jean. Promis à être instituteur, il est fils de maîtres de l’école de la République. Invité à se présenter au STO en juillet 1943, il choisit d’être réfractaire, caché par des paysans cévenols de la Vallée Française, avant de rejoindre le maquis-école de la Picharlerie. Il réalise vite la nécessité de parachutages d’armes pour les combats à venir de la Libération; il en prend l’initiative; il sensibilise sa hiérarchie; il prend des contacts en Aveyron; il est chargé de repérer des terrains. Ce seront Balzac sur la Can de l’Hospitalet, Tribunal au col de l’Oumenet, Quincaille, une vaste doline abritée de la Can de Ferrières proche des premières pentes boisées de la vallée du Briançon. Une Can, causse en réduction, ne peut porter de maquis permanent. Mais ces plateaux isolés et découverts, situés à proximité des vallées cévenoles, sont propices aux parachutages. Seul Quincaille sera utilisé après avoir été homologué comme terrain de parachutage permanent pour du matériel et des hommes. Jean Bonijol dirige l’équipe de permanents, installée à la colonie de vacances de Barre-des-Cévennes, et d’auxiliaires temporaires venus des environs, qui réceptionnera les parachutages à la fin juillet et en août 1944. Très vite, les populations avoisinantes apporteront leur concours avec des chars à bœufs (les «colis» à transporter, containers ou paquets, pèsent). Les maquisards de l’arrondissement de Florac, y compris ceux des maquis FTP, bénéficièrent de parachutages d’armes, certes plus tardifs que pour d’autres maquis FFI de la région (les historiens parlent de dix-huit parachutages largués sur Quincaille à partir du 31 juillet, soit environ 80 tonnes de matériel). Les agents de deux équipes Jedburgh, de conseil aux maquis et de liaison radio avec les Alliés, sautèrent sur Quincaille, l’une Packard vers les maquis de la région d’Alès, l’autre Minaret auprès du rassemblement Aigoual-Cévennes. La mission parachutage achevée au terme de la quinzaine de la Libération début septembre 1944, après sa démobilisation en août 1945, Jean Bonijol effectue en Lozère une carrière d’instituteur qui le conduira à la direction du groupe scolaire de Mende qui porte aujourd’hui son nom (depuis 2011: hommage de la municipalité Alain Bertrand au résistant et à l’enseignant)
On ne racontera pas, ici, les parachutages partis de Blida en Algérie et largués de nuit dans un bruit assourdissant sur Quincaille. Les modalités, suivant les consignes données aux maquisards, étaient celles de tout parachutage. Marc Lemonnier les décrit à son tour. Les opérations se firent sans alerte de l’ennemi qui semble avoir disparu des hautes Cévennes. Le poste de guet installé à la ferme du col du Rey n’eut pas à tirer. Jean Bonijol après la guerre reprend le cours de sa vie. Il ne fit pas gloriole de ces parachutages. La modestie et la pudeur, traits caractéristiques de la mentalité cévenole, l’habitent. Il n’y eut ni blessés, ni morts, donc pas de monuments du maquis ni de commémorations annuelles sur un lieu de drame. Mais Bonijol s’est mis pendant cette période dans les conditions qui auraient pu apporter le pire. Dans un hôtel de Rodez, il rencontre secrètement en avril 1944, afin de faire avancer son projet de parachutage, Léon Freychet, directeur des caves de Roquefort et un des organisateurs de la Résistance dans la région R3, qui sera arrêté quelques jours après cette entrevue et déporté en Allemagne (il reviendra des camps).
Dans les dernières années de sa vie, Jean Bonijol, dit Bull à La Picharlerie, réalisant que cette mémoire du maquis allait disparaître avec les derniers maquisards accepta de témoigner auprès des jeunes et de participer à la collecte institutionnelle des souvenirs du maquis en Lozère (2). Ayant le privilège de vivre vieux ( Né en 1921 à Montbrun, dans les gorges du Tarn, où ses parents enseignaient, il est décédé à Mende le 24 mai 2014, à l’âge de 93 ans), Jean Bonijol est sur le tard auréolé du titre de résistant dans la ville préfecture.
Connaître Jean Bonijol grâce à Marc est approcher un «modèle de comportement». Méditer les choix pris par Jean peut nous aider à nous fortifier afin de réagir plus courageusement dans les épreuves qui peuvent nous arriver.
Olivier POUJOL